"Rendre sa juste place au désordre cellulaire dans l'explication biologique, c'est se dispenser de chercher des programmes inexistants ... Autre raison de soulever cette question : l'absolue nécessité de démythifier les objets scientifiques ... Et c'est précisément là que la métaphore de la cellule-ordinateur pourrait nous avoir aveuglés, voire nui. Selon de nombreux travaux récents, le fonctionnement d'une cellule ne reposerait pas tant sur une mécanique de haute précision que sur un désordre intrinsèque permettant une grande fléxibilité adaptative. Cette idée est contre-intuitive mais pourtant riche, par la souplesse qu'elle insuffle dans notre cadre conceptuel. 

Elle intégre le paradigme darwinien d'évolution par sélection naturelle, qu'elle élargit même; cependant elle remplace l'idée d'un génome-programme (étymologiquement "écrit à l'avance") par celle de boite à outils que chaque cellule utilise avec des fortunes diverses, et plus ou moins de degrés de liberté. Longtemps évoquée avec circonspection, mais désormais confortée par de nombreuses observations expérimentales, elle fait son chemin chez les biologistes. Pourquoi évoquer ces débats qui semblent relever des échanges entre chercheurs ? D'abord parce qu'ils offrent une voie alternative à la course folle à laquelle on assiste ... Mais c'est aussi contester la pertinence de l'empilement de données en cours ... L'informatique nous fournira peut-être un jour une vue précise d'une hypothétique cellule moyenne, mais à quoi bon si cette cellule n'existait pas ..."
Thomas Heams, biologiste, maître de conférences en génomique animale à AgroParis Tech. in le Monde, Tribune, samedi 22 septembre 2012.